Le terrorisme est la manière d’atteindre un but de nature politique à l’aide de menaces, d’intimidations et d’exactions contre une catégorie de population qui ne peut pas se défendre et n’est pas directement responsable de l’état de fait que les terroristes prétendent changer. Le terroriste dit : « fais ce que je t’enjoins sinon je frapperai les gens ou les biens dont tu as la charge ».
Le terrorisme islamiste de ces vingt dernières années a adopté une tactique bien connue : frapper là où cela est susceptible de créer le plus de désordre de façon à causer des réponses politiques inadéquates, réflexes, qui causeront à leur tour un tort aux populations les plus susceptibles de rejoindre les rangs des terroristes pour, à terme, déstabiliser le pays et y prendre le pouvoir.
Les attentats du 7 janvier procèdent de cette logique. En attaquant Charlie Hebdo, un journal qui tirait à boulets rouges sur les points sensibles et tabous de la société (religion, immigration, racisme), les terroristes espéraient monter les Français contre eux-mêmes, monter la faction « ils l’ont bien cherché » contre la faction « écrasez l’infâme ».
Cela n’a que partiellement marché : l’émotion a été telle que la spontanéité populaire a occupé tout l’espace disponible. Il est moins facile qu’on pense de monter « Arabes » contre « Français de souche » puisque nombre des premiers sont assez intégrés pour vivre exactement comme les seconds : en témoigne la proportion, parmi les policiers tués, de minorités visibles ou de musulmans. L’intégration a peut-être des hoquets en France mais elle est ici un facteur de robustesse et d’union du corps social.
Ces derniers jours ont également mis en évidence l’inutilité de deux institutions. La première, c’ est bien entendu les partis politiques. La France, comme tous les pays, a besoin de gouvernants, d’hommes politiques à des postes nationaux. Il n’a aucunement besoin de mille ambitieux qui grenouillent en finançant des ronds-points dans l’espoir de gouverner un jour. Il l’a d’autant moins besoin que les réactions que l’on a pu observer, d’une Le Pen, d’un Dupont Aignan, d’un Sarkozy ou d’un Filoche sont au mieux dignes du café des sports.
Le second grand inutile, ce sont les médias d’information. Leur culte du « scoop » en a fait, je pèse mes mots, des auxiliaires tacites des terroristes dans leur entreprise de déstabilisation des esprits et, dans un cas au moins, des collaborateurs de fait en diffusant trop d’informations. Ce n’était pas suffisant de traiter l’information par mouvement réflexe, d’oublier mise en contexte et recherche des causes, il fallait aussi mettre des vies en danger, de policiers et d’otages. Par charité je ne dis aucun mot des « spécialistes de l’islam », des « experts en sécurité » et autres charlatans auto-diplômés qui font seuls entendre leur voix sur les mêmes médias.
On a beaucoup moins parlé du rôle tout aussi abrutissant des réseaux sociaux qui sont devenus des monomaniaques des attentats. C’est une très mauvaise chose : la sidération, qui fait le jeu des terroristes et qui était déjà considérable du fait des attentats mêmes, a été prolongée au-delà du raisonnable.
Il y avait donc un mot d’ordre à suivre ces derniers jours : éteignez votre télé, coupez les réseaux sociaux, menez une vie normale. Il n’a pas été suivi.
L’unanimité populaire, positive, s’est donc doublée d’un unanimisme nocif, d’une complaisance dans le confort d’être ensemble, de pleurer ensemble, de s’assurer mutuellement qu’o avait les bonnes valeurs. Les réflexes religieux ont fait surface, avec les objets du culte (les crayons), les marques de reconnaissance (« je suis Charlie ») et les arrières-mondes (la rédaction de Charlie représentée au ciel sur un nuage).
Entendons-nous bien : il est insensible, grossier même, de reprocher à un homme ou une société en deuil qu’il tient des propos irrationnels. C’est pinailler que de faire remarquer qu’au sens strict, nous ne « sommes » pas Charlie. Il y a un moment où il faut évacuer ce qu’on a sur la patate. Il y a donc des slogans, des retweets à l’infini, des vagues et finalement une manifestation monstre. Ne boudons pas notre plaisir : son énormité nous rassure sur la volonté collective de ne pas se laisser faire ni de se laisser diviser – et une volonté collective, n’est-ce pas la base d’une nation ?
Il y a eu un deuil spontané qui s’est exprimé d’une manière très positive ; mais – et cela est gênant – la spontanéité populaire n’a pas trouvé de fin ailleurs que dans l’émotion partagée. Elle ne peut pas s’auto-canaliser. L’émotion s’est donc prolongée à n’en plus finir et a occupé tout l’espace.
Il y a pourtant un problème politique considérable à résoudre : que faire contre une population d’islamistes radicaux qui veulent déstabiliser le pays ? Que faire contre l’existence d’une frange plus large de sympathisants ? Les slogans qui pendant trente ans ont inculqué, dans les esprits des citadins quadragénaires éduqués, le modèle de société actuel ne marchent pas sur les islamistes radicaux et leur sympathisants. Que faire à la place ?
La peur d’être taxé de racisme ou d’islamophobie a sensiblement inhibé les discours et l’action publics jusqu’à présent. On fait trop attention aux incantations, aux inquisiteurs auto-proclamés, aux concepts à la mode, aux rêveurs comme celui qui déplorait le choix de lancer un assaut parce que c’était trop brutal. Comme disait le Corse de la blague à son fils qui avait échangé à l’école son pistolet contre une montre : « et quand on te dira merde, tu donneras l’heure ? »
Est-ce le bon contexte pour énoncer une stratégie de neutralisation de l’islamisme radical, pour dire qui et quoi sont les ennemis, quelle est la menace, comment on va réagir et quels en seront l’efficacité et les conséquences ? En disant « pas d’amalgame », on dit qui n’est pas l’ennemi. C’est une bonne chose, c’est indispensable alors que plus de vingt mosquées ont été dégradées la semaine dernière. Mais ce n’est pas suffisant.
Le gouvernement a pourtant été bon jusque-là : les terroristes rapidement identifiés et traqués, un assaut décidé sans attendre pour ne pas laisser la situation pourrir. Une invitation massive de chefs d’état à la manifestation de dimanche pour obtenir un effet d’unanimité qui fait taire les peigne-culs. Mais ensuite ? J’ai l’impression que le message est beaucoup plus brouillé. L’union du pays dimanche dernier était une bonne réponse, LA bonne réponse. La suite, qui dépend de l’Etat, le sera-t-elle autant ?