Ci-dessus : un archonte entre en union pneumatique avec la Ptisis Sophia
Pour ceux qui n'y comprennent rien, il faut remonter ici
Pour ceux qui kiffent Couvert, il apparaît aussi dans cet épisode
Le premier ouvrage de Couvert en date, de la gnose à l’œcuménisme, tente à travers quelques études de montrer la continuité entre la gnose du second siècle, présentée de façon simplifiée en un système de pensée cohérent et monolithique, et quelques prétendues subversions religieuses, de façon à suggérer que les menées modernes de Rome, notamment en matière d’œcuménisme post-conciliaire, sont inspirées par le diable, secondé à l’occasion par trois dangereux lieutenants : Platon, Descartes et Pascal.
Un premier chapitre présente les signes caractéristiques de la doctrine gnostique éternelle (dualisme radical, mépris de la matière, divinité de l’âme, caractère démiurgique du Dieu de l’Ancien Testament) avant de conclure sur leur nocivité en arguant que la doctrine gnostique elle-même a été manifestée par la franc-maçonnerie, donc qu’elle mauvaise et qu’il y a un complot séculaire et indiscernable de la Gnose contre la Vraie Foi™ . La « gnose » y est supposée un système unique et cohérent ; la présentation qu’en fait Couvert fusionne les traits des systèmes de Valentin et de Basilide. En gros.
Le complot séculaire de la « gnose » contre la « foi » se manifeste selon Couvert dans le jansénisme, dans le cartésianisme, dans les freins mis à la résurrection du thomisme à la fin du 19ème siècle, et enfin dans le « mouvement d’Oxford » qui visait à rapprocher l’anglicanisme le plus possible du catholicisme sans jamais s’y confondre. Comme on peut s’en douter au vu d’un sujet si vaste, l’auteur prend des raccourcis et n’écoute que les sources, aussi douteuses soient-elles, qui confortent sa vision : que les gentils, c’est l’Eglise thomiste et intégraliste de 1890-1920, que les méchants, ce sont tous les autres.
Tout le chapitre sur le jansénisme est ainsi basé sur une forgerie, la relation prétendue authentique du colloque qui eut lieu à la chartreuse de Bourg-Fontaine entre Jansen, Cospéan, le grand Arnauld, St Cyran et… un mystérieux participant repenti qui va tout balancer à la police royale vingt ans plus tard. Les participants audit colloque auraient convenu d’un plan pour subvertir la religion catholique et la transformer en une version soft du calvinisme. Ils décidèrent pour ce faire qu’on créerait de façon coordonnée un cheval de Troie théologique qui se réclamerait de Saint Augustin – ce qui allait devenir le jansénisme.
C’est du moins ce que dit cette confession anonyme sur des événements qui la précédaient de plus de vingt ans, qui tombera dans les mains de la police de Louis XIV à point nommé. On résume : une société, le jansénisme, qui s’oppose tacitement aux orientations religieuses du pouvoir absolu en place et à sa volonté de contrôle. Une confession anonyme qui relate les débuts de ladite société, une génération plus tôt. Confession inconnue juste-là, qui apparaît dans les mains de la police en premier lieu. Et confession qui affirme que le jansénisme est un complot longuement mûri par – quel hasard ! comme l’histoire est bien faite ! – ceux qui en devinrent les figures de proue deux décennies plus tard.
Etonnante tout de même, cette tendance à trouver, des années après un événement, des preuves que celui-ci était un complot qui impliquait ceux qui étaient devenus par lui célèbres depuis lors, et dont les idées propagées coïncidaient exactement avec ce qui était perçu comme hérétique et mauvais à l’époque de la découverte du complot. Autant affirmer que Bernard-Henri Lévy a initié la guerre de la France contre Khadafi en 1985.
Il n’est pas besoin d’être grand clerc pour comprendre que cette relation du colloque de Bourg-Fontaine arrive à point tant nommé qu’il n’arrive pas hasard, bref, que c’est un faux au même titre que les Protocoles des Sages de Sion. Etienne Couvert avale pourtant la thèse du complot avec la peau et les pépins. Son intention n’est-elle pas de prouver l’existence d’une chaîne de doctrines subversives anti-catholiques, qui ne sont toutes que l’émanation d’une même doctrine ? Le colloque de Bourg-Fontaine lui fournit un maillon de plus pour sa chaîne. Il n’ pas besoin d’autre preuve.
Les adversaires des jésuites fournissent à Couvert une autre cible au dix-septième siècle, et pas des moindres : Descartes. Il décrit donc à quel point le fondateur de la philosophie moderne est subversif. En résumé : parce qu’il met « le moi » au centre de son système plutôt que « le réel ». Ce n’est manifestement pas assez pour emporter l’adhésion : il cite alors Descartes lui-même, tourmenté, monologuant la nuit, inspiré par un « mauvais génie ». Prenant cela au pied de la lettre, il en fait presque un initié luciférien. Que la scolastique vermoulue s’effondre d’elle-même à cette époque, que l’époque ne soit plus le treizième siècle, Couvert n’en veut rien savoir : Descartes a tout changé, donc c’est un révolutionnaire, or la révolution est le produit du démon donc Descartes est démoniaque. Descartes reprend l’argument d’Anselme alors que le thomisme favorise celui d’Aristote ? Descartes est aveugle. Descartes se promène dans toute l’Europe, cherchant la protection des souverains ? Descartes a quelque chose à se reprocher, comme tous les gyrovagues. Coupable, forcément coupable.
Il est ensuite facile à Couvert de représenter la progression de l’enseignement du cartésianisme dans les lycées – y compris jésuites – comme une défaite idéologique qui gagne la France et l’Europe entière ; et de représenter ensuite la mode du thomisme, deux siècles et demi plus tard, comme une reconquête, un rétablissement de Dieu dans ses prérogatives, un rétablissement d’une telle évidence que même un Victor Cousin payera l’hommage des lèvres à l’Aquinate, lui trouvant beaucoup de bon sens.
Le dernier chapitre porte sur le « mouvement d’Oxford » qui tenta de rapprocher l’anglicanisme high church de l’église catholique en posant la question en termes de réintégration : fallait-il, lorsqu’on avait déjà adopté les croyances, les rites et les pratiques de l’église romaine, se fondre en elle ? Newman se fondra, Pusey restera anglican. Couvert en fait une histoire résumée de façon à mettre en regard un vrai et un faux œcuménisme, le « vrai » visant à la réintégration au sein de Rome, le « faux » visant à la similarité des églises sans absorption de l’une dans l’autre. Le « vrai » portant du fruit, le « faux » étant stérile. Vous connaissez la chanson et son sous-texte : l’œcuménisme post-conciliaire, qui ne vise pas à la conversion de tous au catholicisme, est stérile et conduira à la défaite du parti catholique.
Dans un second opus, Couvert s’attaque aux néo-platoniciens, aux romantiques, aux réactionnaires français de 1800, et surtout aux Humanistes. Il englobe sous cette dénomination un peu tout ce qui va du mouvement du Libre-Esprit aux Kabbalistes de la Renaissance en passant par Lorenzo Valla, Thomas More, Erasme et j’en passe. Il lui suffit de présenter toute nouveauté hétérodoxe comme une « machine de guerre » des gnostiques contre le catholicisme, et le tour est joué. Il voit en la Kabbale cette machine de guerre au seizième siècle, tout en se laissant aller aux raccourcis paresseux qui lui sont chers. Il affirme ainsi que l’En-Sof au-dessus des Sefiroth est l’ensemble des choses créées c’est-à-dire le Plérôme de Valentin. LOL.
Je note au passage que si Couvert accable Lorenzo Valla lorsque ce dernier dit du mal du pape ou tient maint propos subversifs pour l’époque (propos que Couvert rattache opportunément à Vatican II), il ne dit mot sur la démonstration par Valla de la forgerie de la Donation de Constantin, ce qui est pourtant la vérité. Pire, il trouve les termes pour condamner les « insanités » que tel humaniste aurait écrites mais sa plume se trouve sèche lorsqu’il faut évoquer le sort qui attendait de tels trublions. En effet, au seizième siècle comme dans les deux ou trois qui précédaient, c’est le bûcher qui attendait ce genre de propos pour quiconque avait le malheur de n’avoir aucun protecteur qui fût prince ou cardinal progressiste. Que Valla ait manqué de partir en fumée, que d’autres aient effectivement été brûlés vifs, cela n’appelle aucun commentaire d’Etienne Couvert. Pour lui, c’est une anecdote.
Comme précédemment, les termes d’une époque sont interprétés littéralement avec le sens que leur donne le catholicisme intégriste des années 1980 et tout le monde devient vite gnostique, donc panthéiste, donc kabbaliste, dont maçonnique, donc anti-catholique. Il suffit pour cela de dire que l’âme humaine a un caractère divin au lieu de dire qu’elle est immortelle. Il suffit de parler d’âme sans parler aussitôt du corps qu’elle informe. Il suffit de postuler n’importe quoi qui peut rappeler l’ésotérisme, la tri-partition de l’âme par exemple.
Il suffit de citer Epictète affirmant que l’homme a un fragment de divinité en lui mais qu’il l’ignore pour que Couvert accoure et demande « mais comment le sait-il, lui, Epictète ? » Et c’est partout la même stratégie. Tout ce qui ne fait pas allégeance au thomisme roule pour la Cabale Gnostique. Vous discutez ? Vous résistez ? Couvert vous assomme avec des FAITS. Il y a CA ! et puis CA ! et ca veut dire CA ! Et c’est COMME CA et pas autrement. Et si vous ne voyez pas de gnostiques là où je vous dis qu’il y en a, c’est qu’ils se sont bien cachés. Ou, pire, que vous êtes leur complice.
Même le « traditionalisme » de Maistre et l’hétérodoxie des anti-révolutionnaires à la Bonald ou des loges martinistes dont on s’entichait à l’époque, Couvert en rate la critique. Il n’était pas difficile pourtant de prendre l’une des idées les plus vénéneuses de Maistre, celle de « réversibilité » et de montrer qu’elle n’a aucun point commun avec la communion des saints catholique, pour démonter le personnage et ses idées. Mais non, il n’y en a que pour la conformité avec le thomisme et les liens avec Lamennais, point de contact à partir duquel on peut paraphraser en roue libre, puisque Jacques Ploncard d’Assac a déjà traité le sujet et que tout ce qui vient d’un livre « ami » est parole d’évangile dans Tradiland.
Mais notre autodidacte lyonnais n’est pas Roger Caratini et son savoir encyclopédique sous lequel il ensevelirait le monde entier, savoir qui touche Plotin, Hugo, Berdiaev, Simone Weil, Descartes, les jansénistes, Marsile Ficin, Lamennais, Maistre, la franc-maçonnerie, Newman, dom Guéranger, Erasme, les Esséniens, Mahomet, Saint-Martin, Schleiermacher et j’en passe, ce savoir n’est que de la paraphrase d’ouvrages qui lui ont digéré le sujet.
Comme par hasard, il y a un ouvrage de cette sorte dans la bibliographie de chaque chapitre. « Gnose et humanisme », par exemple, s’appuie sur une histoire des doctrines ésotériques d’un certain Marques-Rivière, paru en 1940. La date de parution suffit pour imaginer ce qu’on y trouve et Wikipedia confirmera vos craintes. La bibliographie occultiste et maçonnique de Mgr Jouin y est également utilisée. Quant aux connaissances sur la Kabbale, elles semblent tirées du P. Bonsirven, contre lequel je n’ai pas grand-chose, mais est-ce vraiment vers un jésuite qu’il faut se tourner quand on veut en savoir plus sur la Kabbale ? Dans le chapitre sur Descartes, le Jacques Maritain de trois réformateurs et Henri Massis de l’Action Française fourniront à Couvert l’essentiel de ses arguments. Plus généralement, la bibliothèque de Couvert sur le sujet semble avoir été figée en 1950.
Etienne Couvert n’est donc pas tant le démasqueur inspiré d’une gnose éternelle et éternellement hostile au catholicisme que le paraphraseur et le compilateur d’ouvrages réactionnaires, souvent antisémites, tous ou presque issus d’auteurs qui allaient se baigner au soleil de Vichy quelques années plus tard, ou n’y voir rien de mauvais, ouvrages oubliés depuis fort longtemps lorsque leur auteur n’a pas eu la stature de devenir une figure répulsive pour les générations qui ont suivi. Pourquoi pas? Mais lorsque notre auteur prétend dévoiler un complot gnostique ininterrompu depuis le second siècle de notre ère et souvent invisible, il faut voir d'où il parle et quelles sont les contre-sens, aberrations, expressions prises littéralement et la mauvaise volonté intellectuelle tenace qui ne voit de vérité que dans le thomisme et d’erreur partout ailleurs. Eprouver de l’amitié pour la liberté ou le peuple aboutit naturellement pour notre auteur au culte du Lucifer, au point que la Joconde, posée devant « un labyrinthe étrange formé de roches bizarres, attend avec une lueur perfide dans les yeux le charme mortel du mensonge ». A ce stade, il n’est plus besoin que de se taire.
(à suivre : Jean Vaquié, l'arroseur arrosé par la gnose)