Wow. So Littérature. Much Goncourt.
Michel Houellebecq est un bon technicien de la provocation : depuis « les particules élémentaires », pas un de ses romans qui ne soit sorti sans son parfum de scandale. Il était naturel que « Soumission », en décrivant le basculement dans l’islam politique d’une France insensibilisée, connût un sort analogue. Les bien-pensants professionnels (Valls, Sylvain Bourmeau) se sont bousculés pour dénoncer, sans le lire, l’islamophobie du livre ; Houellebecq y traitait par avance les conseillers politiques de « petits cons trentenaires gominés », bref, tout allait bien.
« Soumission » est l’histoire de François, universitaire précocement usé par la vie moderne et ses agressions constantes, frappé d’aboulie. Il faut, pour le faire jouir, une pute qui lui fasse le dessous des couilles, sinon c’est pas la peine. Il en est de même de sa carrière universitaire : son chef d’œuvre, la préface des œuvres de Huysmans dans la Pléiade, ne naîtra qu’à la faveur d’un changement de société : l’arrivée au pouvoir en France d’un parti musulman modéré à la Erdogan. François cesse donc de « vivre » alors qu’il est trentenaire et envisage sans regret de se laisser porter, pour le reste de son existence, par le nouveau modèle de société qui lui profite largement (polygamie, argent saoudien, train de vie exceptionnel).
Le parallèle marqué entre François et son objet d’étude, Huysmans, laisse entendre, tout au long d’un livre inutilement bavard et à moitié digéré, que le processus de conversion est essentiellement le même, que ce soit d’un individu ou d’une société, que ce soit au catholicisme ou à l’islam. La société moderne issue des Lumières est un ogre : l’homme à qui on a remis son destin en main doit y consacrer une énergie considérable qu’il ne peut employer ailleurs (en amour, en créativité, en construction de soi). La tentation est grande de capituler, épuisé, surtout si ce vers quoi on capitule est bien plus agréable que prévu.
Houellebecq est subversif lorsqu’il insinue que catholicisme ou islam, c’est la même chose. L’important, c’est la soumission de l’homme moderne épuisé, qu’il compare humoristiquement à la soumission de la femme devant l’homme dans « Histoire d’O ». L’islam n’est que la religion du moment, comme le catholicisme l’était pour Huysmans. Le discours des pontes du nouveau régime ressemble d’ailleurs trait pour trait à celui de l’Eglise les aspects gênants de sa propre doctrine pour la mentalité moderne. La polygamie ? C’est naturel et ça améliore l’espèce humaine. Le refus de communion aux divorcés remariés ? C’est par amour pour eux.
Houellebecq voit donc la fin de la modernité laïque comme une parenthèse qui se ferme et cède à la normalité de la société religieuse. Le christianisme, trop compromis (lisez les passages assassins sur les textes du Père abbé de Ligugé !), aurait pu réclamer sa part du gâteau mais doit se contenter d’un rôle de fourrier du nouveau régime. De ce dernier, les collaborateurs les plus convaincus et les futurs cadres proviendront tous de la mouvance identitaire, celle qui adore Bernanos, Bloy, Huysmans, Dantec et Nietzsche sans les comprendre.
Ainsi Houellebecq voit la transition vers un régime islamique démocratique comme nécessaire et sans aucun incident médiatisé, là où le lecteur de « soumission » s’attendait à la guerre civile. Mais que cache le nouvel ordre des choses ? Un renforcement de la sélection naturelle. Le confort des universitaires, leurs femmes de quinze ans et leur salaire à cinq chiffres mensuels se font au détriment des femmes, désormais casées par des marieuses, et de la population générale, dont le bien-être sera conditionné à la conversion et, bientôt, deviendra l’enjeu de querelles de factions dans le Golfe. C’est le prix à payer pour une préface dans la Pléiade, semble-t-on nous dire. Le narrateur ne le regrette pas.
Ce « retour des religions » au profit de l’islam politique est donc le résultat de la collaboration objective des religions de tout bord, des nietzschéens et des fascistes identitaires, donc de tout ce que peut compter la droite dure en France. Il n’est que le masque du renforcement du « darwinisme social » au profit des riches et des intellectuels. C’est là le tour de force que réalise Houellebecq dans cette sotie qu’est « soumission » : persuader son lecteur, à l’aide d’arguments issus d’une « réacosphère » monomaniaque et raciste, qu’il a tout intérêt à se convertir à l’islam.