Pour ceux qui n'y comprennent rien, il faut remonter ici
Partie 1 : l’auteur et ses maîtres à penser
Né en 1911, Jean Vaquié est l’autre figure de proue de la société Barruel. Les éléments biographiques à son sujet existent en très petit nombre. Il aurait été tout d’abord officier puis résistant dans le réseau de l’abbé Lapouge, probablement encore officier après la guerre. A-t-il fait l’Indochine ou l’Algérie ? Probablement pas ; cela aurait fait de lui un bien vieux soldat. Mais la communauté d’idées avec celles que propageait la Cité Catholique à la fin des années cinquante est bien réelle, qui trouvait dans les milieux militaires ex-résistants un écho considérable avec ses concepts de subversion, d’action psychologique et de combat pour l’ordre. Les éditions de Chiré, qui publièrent Vaquié, publièrent aussi Château-Jobert. Vaquié fait ensuite une deuxième carrière comme visiteur médical dans un laboratoire pharmaceutique et part vraisemblablement à la retraite vers 1975. Des revues intégristes dont « Lecture et Tradition » publient ses articles dans le courant des années 80 qui prennent souvent la forme de traités structurés. Il donne également quelques recensions de livres « amis ». Je sais aussi par des amis communs qu’il était lefevriste. Il meurt en 1992 à Lyon.
Contrairement à Couvert, la plupart de ses textes n’ont pas paru en librairie. Ils ont circulé sous le manteau, avec un certain succès, bien avant d’être imprimés dans Lecture et Tradition ou Monde et Vie, dans des fascicules de l’Action Familiale et Scolaire (un clone de la Cité Catholique encore plus intégriste), dans les bulletins de la Société Augustin Barruel et probablement ailleurs encore. Vaquié est l’homme de deux livres à proprement parler, Bénédictions et Malédictions, un catalogue des « révélations privées » avec opinion de l’auteur, et La Révolution Liturgique, une critique précoce et acerbe de la constitution Sacrosanctum Concilium. Il est également l’auteur d’un charcutage en règle des Institutions Liturgiques de dom Guéranger, réduites de trois volumes à un seul à des fins de propagande contre la réforme liturgique de 1969.
De la même manière qu’on ne dispose pas d’éléments biographiques, il est difficile d’identifier les maîtres à penser de Vaquié. Lui-même a fait état à plusieurs reprises de son compagnonnage intellectuel avec Léon de Poncins, l’un des gourous de l’antimaçonnisme vichyste, auquel il aurait évité une épuration expéditive et définitive. Il défendra même sa mémoire comme celle de Julius Evola, accusés de « gnosticisme » dans les années 80. Mais quelles sont ses autres influences ? Ses traités s’appuient sur des citations fréquentes de l’Ecriture mais aussi sur les enseignements de Pères de l’Eglise et de mystiques qui, eux, ne sont jamais cités textuellement. D’une manière générale, alors que Couvert fournit en appendice de ses ouvrages la liste des livres qu’il a consultés et parfois recopiés, Vaquié ne donne jamais d’indication biographique.
Il ne faut pas croire que le recours à l’Ecriture et aux Pères est un sceau de catholicité sur les écrits de Jean Vaquié. S’il avait lu les Pères autant qu’il a lu la Bible, ou du moins son exégèse par l’abbé Fillon, s’il maîtrisait leur legs, il les aurait cités. Ce n’est pas le cas. S’il y a donc une tradition entre Poncins et lui, son objet n’est pas la patrologie ni la collection « sources chrétiennes ». En réalité, la question n’est pas tant obscure qu’on le pense : quiconque est familier avec les thèmes brassés par Vaquié reconnaîtra assez vite que leur source principale est le milieu catholique réactionnaire de la période 1850-1930 où l’on trouve de doux dingues comme le marquis de La Franquerie, les délateurs du Sodalitium Pianum ou le polygraphe Jean-Joseph Gaume, dit « monseigneur Gaume ». La lecture de son Traité du Saint Esprit me fut recommandée une seule fois dans ma vie de tradi, par notre connaissance commune. Ce n’est pas un hasard.
Mgr Gaume fut donc un prêtre de la Restauration puis de l’Empire. En cour sous Pie IX, il s’éleva jusqu’à la place de protonotaire. On sait moins qu’à la disparition du pape du Syllabus, Gaume tomba en disgrâce et finit sa carrière comme un simple prêtre. Il avait néanmoins eu le loisir de publier copieusement dès 1835 : un catéchisme de persévérance en huit volumes, un abrégé du même en un volume, La Révolution en douze volumes où il reprend à son compte les thèses de Barruel, une « preuve » de l’évangélisation du monde entier dès les temps apostoliques, deux volumes de Biographies évangéliques, bref, une quarantaine d’ouvrages au moins si j’en crois l’inventaire de Wikipedia. Il donna même dans le récit de voyage avec Les Trois Rome en quatre volumes, où il s’indigne à juste titre de la façon dont sont traités les bagnards en France, puis s’extasie plus loin sur la charité qui enveloppe une exécution capitale dont il fut témoin dans la Rome de Pie IX. Et il y a donc aussi ce fameux Traité du Saint Esprit, la bible de l’intégriste mystique.
Tous ces ouvrages sont largement tombés dans l’oubli. Mgr Gaume est paradoxalement connu aujourd’hui pour avoir lancé une querelle scolaire où il tenait que les classiques devaient être bannis des études secondaires au titre de leur paganisme et de leur immoralité corruptrice de la jeunesse, au profit d’auteurs latins et grecs chrétiens. : Il mit en application ses idées en publiant une bibliothèque d’une trentaine de « classiques » chrétiens de l’antiquité ad usum delphinis. On ne peut pas faire de Dom Guéranger un progressiste. Ce fut pourtant l’un des contradicteurs de Gaume. Deux conceptions de l’éducation s’affrontaient, l’une dogmatique, l’autre basée sur la beauté et la vérité.
Le traité du Saint Esprit affirme vouloir mieux faire connaître la troisième personne de la Trinité, et présente toute la théologie classique sur la spiration et les dons de l’esprit. Les références bibliques sont examinées, la Pentecôte, scrutée. Le Saint Esprit étant l’auxiliaire des chrétiens dans leur combat contre le mal, le traité bascule ensuite dans un dualisme typique du catholicisme intégriste de l’époque. C’est l’esprit du bien qui combat contre l’esprit du mal, moyennant quoi Gaume balance la sauce sur les démons, les anges, leur combat métaphysique, leurs prodiges mystiques, les promesses de victoires, les progrès de l’un et l’autre camp dans l’histoire du monde, et ainsi de suite. On y apprend même que les méthodistes dansent nus dans la forêt. Il n’y a bien que là qu’on l’apprenne.
La similitude profonde entre ce combat du bien contre le mal et les thèses de Jean Vaquié est manifeste. Il ne faut pas chercher plus loin ses inspirations : ce sont celles d’un siècle passé qui n’a su qu’être hétérodoxe dans ses efforts pour se redresser après le terrible coup de massue porté par la Révolution Française. Il n’y a pas tant Irénée de Lyon ou le pseudo-Denys dans la bibliothèque de Vaquié que Mgr Gaume, Mgr Delassus, le cardinal Pie ou la Revue Internationale des Sociétés Secrètes. Nous verrons que s’y trouvent aussi Nostradamus et maintes « révélations privées » de nature monarchistes.
Par sa familiarité avec les textes qu’il a adoptés, Vaquié a néanmoins réalisé une synthèse de ses lectures dans un corps de doctrine qui n’est original et séduisant qu’à la mesure que ses sources sont tues. On est néanmoins des lieues au-dessus d’un Couvert et de ses exposés bougons. Il est temps d’en dire un peu plus en se basant sur deux manifestes essentiels, « la bataille préliminaire » et « réflexions sur les ennemis et la manœuvre ». Quand ils sont datés, ces textes prétendent remonter à la seconde moitié des années 80. Des passages laissent pourtant croire que la première version de ces samizdats intégristes remonte aux années soixante, puis qu’ils ont fait l’objet de remaniements afin de corriger les points qui se voyaient réfutés par l’actualité. Dans les années soixante, Vaquié était déjà occupé à dénoncer la « révolution liturgique » du Concile, avant même que ce dernier fût achevé. Sa Révolution Liturgique date de 1963.
Le principe qui sous-tend la doctrine de Vaquié est que la Providence doit être prise au sérieux, que c’est Dieu qui fait tout dans le monde, tout ce qui est important sous l’angle métaphysique et eschatologique. Pour Vaquié, rien n’arrive par hasard puisque Dieu gouverne presque directement le monde ; si tout est mystérieux, tout a néanmoins un sens ; et Dieu, comme un artiste facétieux, cache des signes et des symboles dans le monde pour que quiconque sache les reconnaître comprenne le plan divin. Vaquié trouvera par exemple de la plus haute importance que la bataille des Champs Catalauniques se déroule en 451 de la Saint Matthieu à la Saint Maurice, l’année du concile de Chalcédoine, ce qui serait un clin d’œil divin attestant de Sa volonté de doter la France d’une monarchie. Je vous épargne la démonstration, qui fait appel au concept d’ « harmonie providentielle », c’est-à-dire au fait que si deux événements distincts présentent un détail identique, alors ces événements ont un lien entre eux. Un exemple ? La loi Veil de tolérance de l’avortement a été votée le 28 décembre 1975. Or le 28 décembre, l’Eglise fête les Saints Innocents. Donc l’objet principal et occulte de la loi, c’est de tuer des bébés en défi de l’Eglise, donc d’offrir un sacrifice de vie humaines innocentes à Satan. L’auteur de ces lignes a entendu le même raisonnement être tenu lors d’un procès de commando anti-avortement en 1995 dont le verdict devait être rendu un 28 du mois.
(à suivre : les trois révélations)
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