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En quoi donc les inquisiteurs barruéliens, obsédés par la « Révolution » personnifiée des réactionnaires ultramontains du 19ème siècle, se sont-ils sentis concernés par le gnosticisme, ensemble de courants de pensée qui lui est antérieur de 17 siècles ? Pour Jean Vaquié, c’est parce qu’elle est le déguisement d’une tentative contemporaine de pénétration du catholicisme traditionaliste par la franc-maçonnerie, tentative dont le principal cheval de Troie se nomme René Guénon. Pour Etienne Couvert, c’est parce que les thèses gnosticistes du second siècle se retrouvent dans plusieurs mouvements philosophiques, littéraires et théologiques au cours des siècles dont le point commun est l’hétérodoxie et donc dont la fréquentation est nocive au catholiques. Vaquié se bat contre un ennemi occulte classique, la maçonnerie déguisée en « ésotérisme chrétien ». Couvert se bat contre un concept qui renaît (Guénon ?) sans cesse.
On ne connaît que peu de détails biographiques des deux leaders barruéliens. Il faut reconstituer à partir des préfaces, des témoignages sur le web, parfois anonymes, et des conférences auxquelles j’ai assisté. Ce n’est pas terrible mais c’est mieux que rien.
Tous deux semblent avoir été des disciples de Léon de Poncins, héritiers donc de la tradition intégriste française et vichyste des années 30, des chasseurs de juifs à la Coston, ou chasseurs de maçons à la Jouin. Vaquié aurait pourtant été résistant et en position d’éviter, à la libération, le peloton à ce dernier. Couvert est quant à lui présenté dans ses livres comme un professeur de philosophie ; il est en réalité professeur de français, désormais à la retraite. Un témoignage apocryphe en fait l’organiste de la Trinité, à Lyon : si ce n’est pas vrai, c’est bien trouvé. Ses livres ont en effet une saveur de retraité, d’autodidacte organiste de paroisse qui tromperait l’ennui en dévorant des livres, d’oncle qui vous accosterait à un déjeuner de famille en commençant par « j’ai une théorie sur les lignes à haute tension, c’est que… »
Et des théories, Etienne Couvert en a deux : que la « gnose » est une hydre conceptuelle, immortelle, qui explique tout ce qui se fait d’hétérodoxe et de mauvais dans le monde depuis l’origine des temps, qu’elle est donc cette Révolution que Mgr Gaume personnifiait et voyait comme l’adversaire personnel de Dieu. Et que les Esséniens sont les premiers chrétiens. Couvert n’a aucun des traits caractéristiques du fou : il est affable, parle calmement, il a bien moins de signes distinctifs tradis que le milieu dans lequel on l’honore. Mis à côté du fils Ploncard et d’Arnaud de Lassus dans une conférence, il m’a fait l’effet d’être le plus normal des trois alors que ses théories sont de loin les plus extravagantes – sa théorie sur la gnose du moins, car ses vues sur l’essénisme, quoique très fantaisistes, sont étayées par des faits. Couvert, en somme, est un gourmand intellectuel qui n’arrive plus à se déposséder de son idée fixe, la gnose.
« Spirituellement », si j’ose dire, les deux auteurs sont en faveur dans les franges extrêmes de l’intégrisme : mouvance des dominicains d’Avrillé et sédévacantistes. Couvert a été attaqué durement par des prêtres lefebvristes, l’abbé de Tanoüarn et surtout l’abbé Célier et l’a très mal vécu. Une supplique aux termes excessifs, adressée aux évêques schismatiques et réclamant leur appui et leur protection n’a produit que deux brefs messages assez maladroits, l’un de Mgr Tissier, l’autre de Mgr Fellay, qui évitaient soigneusement l’un et l’autre de s’engager sur quoi que ce soit. Cela aurait du être un message clair ; Couvert ne semble pas l’avoir compris. Il faut néanmoins noter que, si Vaquié était un paroissien connu des prieurés lefebvristes, Couvert semble avoir maintenu sa pratique dans un milieu concilliaire, loin de son public et de ses adversaires.
Depuis le début de ses « recherches » sur la gnose et les manuscrits de la mer morte, que je situe à la toute fin des années 70, Couvert a publié six livres, tous recueils d’articles déjà publiés dans la revue de la société Barruel, ou de réponse aux objections sur ces articles, publiées dans le même support. Ils portent donc des titres génériques tels que « de la gnose à l’œcuménisme », « la gnose contre la foi » et ainsi de suite. Un seul, « la vérité sur les manuscrits de la Mer Morte », est mono-thème.
Vaquié, au contraire, n’est l’homme que de deux livres à ma connaissance. « la révolution liturgique », publié immédiatement après la parution de Sacrosanctum Concilium en 1963, dénonce, sept ans avant la généralisation de la « messe en français », le complot contre la « messe de toujours ». « Bénédictions et malédictions » est un recueil d’exposés sur des révélations privées, avec l’appréciation de l’auteur sur l’authenticité de chacune. Sa première édition date de la fin des années 40, publiée sous le nom de Jean Gonthier. Certains ont avancé que le pseudonyme était là pour faire oublier les liens avec Léon de Poncins, précaution suprenante pour un ancien résistant doté a priori de tous les certificats de civisme nécessaires. Des rééditions modernes ont eu lieu au moins jusque dans les années 90. On connaît de lui, également, une brochure sur « les principaux thèmes gnostiques » publiée par l’Action Familiale et Scolaire, un spin-off intégriste de la Cité Catholique.
A part cela, Jean Vaquié n’a rien publié d’officiel même s’il a écrit copieusement, surtout des petits traités pour le samizdat catholique-traditionaliste-providentialiste, qui se sont trouvés publiés chacun à son tour dans « lecture et tradition » au cours des années 80. Vaquié est également l’auteur d’un pavé au format A4, pro manuscripto, sur « l’école de l’ésotérisme chrétien ». Le numéro double 22-23 de la revue de la Société Augustin Barruel, diffusé plus largement, n’en sera qu’un abrégé. Jean Vaquié est aussi l’auteur d’un abrégé des Institutions Liturgiques de Dom Guéranger, qu’il taille, mutile et réduit au quart pour faire ressortir chez le refondateur de Solesmes le concept d’ « hérésie antiliturgique » et tout ce qui sert son propre combat contre la réforme du missel romain.
(bientôt : Etienne Couvert et la gnose)