« 20 dollars pour du wifi ? et c'est moi qu'on traite de criminel international ? » s'exclamait récemment Sacha Baron Cohen dans sa dernière comédie, « the dictator ». Dans les salles, l'éclat de rire qui accueille cette saillie manifeste bien qu'il n'est pas le seul à réprouver les tarifs de l'accès internet dans les hôtels. En vérité, la fixation du prix de ce service est bien souvent un casse-tête.
Une chose est certaine : le wifi, ça coûte à l'hôtelier, surtout au moment de la mise en place. Il n'est pas question bien entendu de mettre une petite box dans chaque chambre sur le réseau téléphonique : la maintenance serait cauchemardesque. Certains hotels, rares, ont pourtant fait ce choix. Je me souviens d'une petite maison indépendante dans les Alpes Bavaroises qui avait l'équivalent d'un DSLAM dans la cave et des routeurs dans chaque chambre. Le bilan était sans appel : ça ne marchait jamais. L'unique solution efficace est de disposer d'un accès internet suffisamment large et de répartir le trafic dans le bâtiment. D'où un câblage à mettre en place, ainsi que des switches à chaque étage et un nombre suffisant d'antennes dans les couloirs (voire des câbles jusque dans chaque chambre). Cela nécessite l'intervention d'un professionnel : l' « arrosage » correct des chambres par des antennes wifi n'est pas une affaire triviale. Un hôtel que je connais s'y est hasardé un jour : le « projet wifi » traîne maintenant depuis deux ans, et le wifi n'est toujours pas disponible pour les clients.
Donc oui, ça coûte cher à mettre en place, donc ça coûte cher à amortir. Cela coûte aussi quelque chose en fonctionnement. La bande passante, certes, mais aussi les services du prestataire qui gère la « passerelle », c'est-à-dire ce dispositif qui ouvre l'accès au check-in, qui le ferme après le checkout, qui transmet votre consommation pour que le prix apparaisse sur la facture le jour de départ, et qui fait en sorte que tous les autres clients de l'hôtel connectés au même moment que vous ne puissent pas voir votre ordinateur ou s'y connecter.
Ajoutez à cela les coûts de la hotline : bien que la situation se soit grandement améliorée depuis les débuts du wifi en hôtel en 2003, il y aura toujours, sur 200 chambres, un client pour qui « ca ne marche pas ». Quelques hôtels ont tenté de dépanner eux-mêmes. Je suppose qu'ils ont arrêté à la première plainte d'un client de mauvaise foi. Seuls les 5* et les palaces (et les hôtels du Golfe) peuvent se payer un informaticien à demeure et assumer la responsabilité qui vient avec le fait qu'il tripote les laptops des clients qui ne savent pas faire marcher un VPN. Ces « passerelles » permettent aussi, parfois, de régler la bande passante, selon le type de traffic, voire par utilisateur. Ce n'est pas encore la règle.
Et puis ensuite il faut bien marger un peu, à une époque où le téléphone ne rapporte plus un rond à aucun hôtelier mais qu'on ne peut pas le supprimer, à une époque aussi où la Pay TV décline devant la montée des films de boule sur iPad, beaucoup plus économiques, et qui vous évitent les mentions douteuses de type « mutimedia services » sur la facture - et tout cela a eu son coût aussi. N'oublions pas enfin que l'hôtel n'est pas toujours propriétaire du matériel qui sert au wifi et qu'il a pu contracter avec un prestataire il y a longtemps et s'engager pour une durée déterminée et longue sur des tarifs imposés par ledit prestataire et qui ne sont plus aucunement alignés sur ce que fait le marché au jour d'hui.
La question est maintenant : comment facturer cela au client ? Il y a une réponse évidente à mon sens, à mon sens de voyageur d'affaires occidental en tout cas, c'est que l'internet est une « commodity » au même titre que le téléphone, la télé, l'eau chaude ou la lumière. Depuis que l'hôtellerie anglaise est sortie du Moyen-Age et qu'elle ne met plus de monnayeurs sur ses radiateurs, plus personne n'aurait l'idée de faire payer séparément l'eau chaude au robinet ni les appels à la blanchisserie ni le chauffage. L'accès à internet relève de la même nécessité. Mais l'inclusion de leur coût dans le prix de la chambre donne, ceteris paribus, un handicap concurrentiel face aux hôtels qui affichent un tarif hors wifi. De ce fait, la facturation du wifi et de l'internet client en général est un casse-tête dont on ne saisit pas encore parfaitement la meilleure manière de s'en tirer qui soit tolérable pour tous.
Il y a donc, selon les groupes, les marques, les pays - et souvent une combinaison des trois - des stratégies peu matures et incohérentes. La première considèrera que les marques « budget », fréquentées par les jeunes, sont par définition bon marché et que le wifi ne doit pas être un surcoût ; et que les 4 et 5 étoiles, accueillent une clientèle aisée qui ne verra pas d'inconvénient à payer pour le service. Sauf que... sauf qu'il n'y a rien qui irrite plus un voyageur d'affaires qu'un surcoût wifi, à part peut être un taxi réservé qui ne se présente pas. Ledit voyageur comprendra mal que la somme qui lui achète un mois d'internet chez lui ne lui donne à l'hôtel que 24 heures - et encore, avec un débit merdique. Quand ça marche.
Certaines filiales de groupes hôteliers, ne voyant pas venir de stratégie globale, ont fait la leur et ont adopté, par exemple, des flat fees dans tous leurs établissements, quel qu'en soit le standing. Avant qu'une directive centrale ne vienne les contredire. A vrai dire, l'industrie hôtelière tout entière semble avoir manqué le coche au début du wifi et court pour rattraper le temps perdu, un peu comme lorsque BMW a sorti ses berlines « connected drive », c'est-à-dire qu'elle a considéré (révolution copernicienne) que le moteur et les roues étaient un accessoire du GPS et de l'iPhone, et non le contraire. Il y a ainsi des marques qui jouent aujourd'hui la carte de la technologie et qui proposent explicitement des séjours « wifi inclusive ».
Peut-on blâmer les hôteliers d'être si lents à la détente ? Un hôtelier est déjà un spécialiste de lits, de restauration, de gaines techniques, de courants forts et faibles, de détection d'incendie... il faut maintenant y ajouter l'informatique et ce n'est pas la chose la plus simple.
Donc oui, on ira vers des tarifs plus raisonnables sans doute, et un meilleur service, dans certaines limites. Tout d'abord, n'imaginez pas qu'un réceptionniste vous réparera un wifi cassé : cela n'arrivera jamais, sauf peut être dans des hôtels où vous n'allez pas. L'autre limite sera la couverture géographique : il sera beaucoup plus viable pour un hôtel économique de ne couvrir de wifi que les parties communes. Ou alors d'adopter un modèle hybride où certains usages seront gratuits et d'autres payants. C'est peut-être la meilleure façon d'approcher le problème : gratuit dans le lobby, payant dans les chambres ou - plus intelligent - gratuit à petit débit, payant quoique de façon modéré à gros débit. Comme cela, web et mails n'occasionnent aucun surcoût ; le téléchargement des films ou skype, oui. Les Ibis mettent ont notamment en place un système très voisin de cela, et c'est un de ceux qui m'a le plus satisfait ces derniers mois. Une autre solution est d'amener un tuyau de 100 Mbps et de permettre toute utilisation sans surcoût : plusieurs hotels de luxe font comme cela aussi. Je l'ai notamment vu chez Kempinski - mais ce n'est pas pour la même clientèle ni le même tarif.
Ce qu'il ne faut pas faire, en tout cas, est très clair : (a) facturer des sommes exorbitantes, (b) ne pas proposer de wifi mais seulement des connexions par câble, (c) facturer le double lorsqu'on utilise deux terminaux différents, (d) être incapable de faire résoudre rapidement un problème de connexion lorsqu'il y en a un. Ce n'est d'ailleurs pas toujours une question de configuration de VPN ou d'étourderie du client : dans plusieurs cas, il suffit de redémarrer un switch qui a souvent fonctionné plusieurs mois voire plus d'une année sans s'arrêter.
En 2004 déjà, au moins un hôtel de luxe new yorkais, le Parker Meridien, offrait internet gratuitement dans toutes les chambres. Le succès était évident : tous les clients l'utilisaient - au point qu'il était facile de s'apercevoir que les dossiers partagés de leurs ordinateurs connectés étaient visibles sur tout le réseau. Mais ce n'est pas le sujet qui nous occupe ce matin...
Interrogation naïve : un certain nombre d'hôtels proposent aux clients de s'identifier auprès d'un grand opérateur (par exemple Orange dans les hôtels Accor), ce qui permet de résoudre aussi le problème des salles de réunions où l'accès à Internet est plus critique. Est-ce que ce n'est pas la meilleure solution pour les hôtels installés dans une zone déjà bien couverte ?
À la liste des choses à ne pas faire, j'ajouterais le fait de ne proposer qu'un ordinateur connecté dans le lobby, généralement inutilisable.
Rédigé par : Jastrow | 02/07/2012 à 12:10
Jastrow : Le Wifi Orange ne couvre pas une zone géographique (on ne peut pas "arroser" comme avec le 3G) mais bien un bâtiment au plus. Cela veut dire que l'hôtel a un contrat spécifique avec l'opérateur et, bien entendu, pour des raisons de tailles comparées, c'est l'opérateur qui dicte ses conditions. On peut dans certains cas se retrouver avec les inconvénients mentionnés, notamment des tarifs déconnectés de la réalité (et, pour l'hôtelier, la nécessité de se coltiner l'opérateur quelques années).
Rédigé par : Pierre Schneider | 02/07/2012 à 20:48