La Rafle : plus jamais ça.
Je réponds à un commentaire de @zozoped sur mon billet précédent. Vu le volume du texte, le commentaire et la réponse ont leur place dans un nouveau billet plus qu'en appendice de l'ancien.
@zozoped dit que :
Ce qui s'est passé, au vélodrome d'hiver, les 16 et 17 juillet 1942, est connu, et reconnu. Ceci fait partie de l'Histoire. Il se trouve que c'est une histoire qui n'est pas incertaine, car elle est documentée, éclairée par un recul qu'on a aujourd'hui (et depuis plusieurs décennies en fait), des témoignages de personnes encore vivantes, bref, on peut épiloguer sur ce qui s'est passé, mais ce n'est pas sujet à débat.
Certains s'amuseront à discuter pour savoir où était la France alors. Tu leur expliques ici que c'était très clair. Soit. Je ne suis personnellement pas certain que ce soit si clair que ça. Définir la France par ses organes publics ? Par ses forces armées, par ses dirigeants, légitimes ou non ? Mais alors, qu'est-ce que la Syrie aujourd'hui ? Qu'est-ce que la Hongrie en 1956 ? L'Algérie des années 50 ?
Comme tu le soulignes, l'Histoire est un outil qui est déployé dans des buts politiques. Mais les historiens ne sont jamais aussi tranchés que ne le sont les politiques. Ils font au contraire preuve de finesse, ils prennent en compte le contexte historique, ils séparent les responsabilités individuelles des responsabilités collectives.
La question qu'on doit se poser aujourd'hui, ce n'est pas si la France a accompli un crime ces jours là. Le crime est acté. La question à l'ordre du jour, c'est de savoir si la France en est aujourd'hui coupable.
Et la France, aujourd'hui, c'est les français. C'est un des mérites d'une démocratie : on a les dirigeants, et le pays, qu'on mérite. Attribuer à la France la responsabilité d'un crime en 1942, c'est attribuer à la France, en 2012, la responsabilité de meurtres qu'elle ne peut pas supporter. D'abord, parce que c'est un tribut qui est lourd. Ensuite, parce que le nombre de personnes qui ont pu être coupables de ceci est particulièrement minoritaire. Et de la même manière que tu n'iras pas voir un allemand pour lui dire : ce que tes congénères ont fait au milieu du siècle dernier est horrible, tu ne peux pas aller un voir un français, et lui dire : Est-ce que tu n'as pas honte de ce qui a été fait, à deux pas de ta maison ?
L'Histoire est un outil politique, c'est vrai. Ce que le président fait en prononçant ce discours, ce n'est pas rétablir la vérité historique. Il n'a pas légitimité à le faire. Il fait de la politique.
Also sprach ich :
Je suis largement d’accord avec ce que tu dis. Les lignes floues, bien sûr, il y en a. La subtilité des historiens, bien sûr, est nécessaire. Une subtilité qui nous fait sortir de l’alternative légitime / illégitime qui ne convient pas à notre sujet de rafle. Pensons donc en degrés de légitimité d'un état.
Cette légitimité peut être renforcée, confirmée par quelques facteurs, en plus de ceux que j’ai évoqué dans le billet précédent. La nationalité des personnes à la tête de l’état y compte beaucoup, la reconnaissance de l’état par les autres pays, la détermination de l’action de son gouvernement par la contrainte extérieure, la capacité d’*être* un état (un état sans armée ou sans gouvernement n'est pas un état effectif) et parfois le fait accompli simple et durable. Faute de quoi il faudrait considérer que « la France » n’existe plus en droit depuis les Plantagenêts – chose qui faillit se produire, rapporte J.P. Azéma, en juin 1940, lorsque les Anglais proposèrent fugacement l’union des deux pays.
Il n’y a ainsi aucun doute pour moi que Vichy était un régime légalement installé et que c’était LE régime de la France. Un général sans armée dans un bureau à Londres, si grande que soit sa capacité à incarner un concept, n’a pas les moyens d’être un état à lui seul. Qu’aurait-on du penser s’il y en avait eu deux ?
On pourrait à la limite considérer que Vichy, graduellement, n’a plus été le seul, qu’il y avait une France en métropole, et une autre dans les colonies puisque l’effort de la France Libre est parti de là. Encore que : toutes les colonies n’étaient pas « la France » de la même manière. On pourrait dire que la France a déporté des Juifs, et que la France a libéré la France, ou s’est libérée. Cela ne me choque pas. Mais dire que, pschit, du moment que les pleins pouvoirs ont été votés, la France n’a plus *subsisté* que dans un général à l’étranger… En fait cela m’évoque des querelles sur l’Eglise qui subsiste dans la Fraternité ST Pie X, des disputationes sur la liberté religieuse. Bref, je passe. Quoi qu'il en soit, le régime de Vichy était raisonnablement assez la France pour qu'on puisse dire que la France a fait cette rafle.
La France est quelque chose qui persiste et qui ne change guère à l'échelle d'une vie. Il est légitime alors qu’on la considère, sans entrer dans la définition de sa personne morale, comme l’agent d’actes mauvais ou bons et qu’elle pose des actes en réponse à ceux-ci : discours, endossement de responsabilité, gestes symboliques… simple application de la vertu de justice.
Des réparations pécuniaires, par contre, non, car cela ferait peser un poids sur des Français qui n’ont aucune responsabilité dans l’acte qui est réparé. Que l’on juge Papon, c’est une chose naturelle : c’était un malfaiteur et il y a du droit pour décider de la chose. Que l’on rende des biens volés, c’est naturel aussi. Que l’on présente des excuses au nom du pays, de la nation, c’est naturel encore : les excuses ne sont pas celles des citoyens vivant aujourd’hui, qui n’y sont pour rien, elles ne leur enlèvent rien, ce sont les excuses de la France tout court, pas celles de la France de 2012.
Que l’on répare financièrement, en revanche, c’est odieux : les fils n’ont pas à payer pour la faute des pères. Il n’y a pas de tribunal ici, il n’y a pas de prononcé de peine. La France n’est pas coupable ; elle est en revanche responsable et cela me semble plus honnête, plus droit de le dire publiquement, par la bouche de la personne qui représente le pays.
Le président, pour reprendre tes termes, ne rétablit pas une vérité qui était déjà connue, ni ne définit de vérité, au contraire des lois mémorielles. Il dit, après des décennies de silence, qu’il y adhère, il montre qu’il n’est plus décidé à ne regarder qu'ailleurs. Certes c’est gratuit, c’est risqué, c’est l’opposé de la realpolitik donc ce n’est sans doute pas prudent, peut-être même un acte technique mauvais… mais c’était la chose à faire.
Pour le reste, la Syrie aujourd’hui, c’est Bachar à l’heure ou j’écris. L’Algérie en 50, c’est la France, pas encore le FLN. La Hongrie en 56, c’est pas les Russes, ça c’est sûr. Ca m’intéresserait de connaître la manière dont les Allemands conçoivent ces affaires de responsabilité nationale : avec ce qui leur est arrivé, ils doivent être des pros dans le domaine. (Encore que mon expérience me montre qu’un Allemand peut devenir aussi frondeur qu’un Français quand on le lance sur ces sujets).
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