Deux choses liées au catholicisme m’ont occupé ces derniers jours. La première est l’inanité d’une forme spécifique de réfutation de la théorie de l’évolution. La seconde est le linceul de Turin. Les deux ont un point commun : c’est l’apologétique.
Tu choisis : la conversion ou la rééducation ?
L’apologétique, dans son sens moderne, est la défense de la foi catholique par des moyens rationnels : la preuve rationnelle que Dieu existe, que Jésus est son Fils et que l’Eglise est l’institution voulue par Lui grâce à laquelle Il se communique. L’ambition de l’apologétique est donc de manifester la rationalité d’articles de foi fondamentaux (pas tous), c'est-à-dire d’établir indiscutablement que tout homme muni de son bon sens ne peut qu’adhérer aux vérités révélées du catholicisme. Pour le dire plus simplement, le discours de l’apologétique, c’est : « il est rationnel de croire dans le sein de l’Eglise Catholique, et il est donc irrationnel de ne pas croire». La « vision » de l’apologète, c’est qu’un incroyant est un fou – à qui on trouvera quelques raisons, quelque pommade à passer pour ne pas sembler trop violent. Mais à la fin, il n’y a pas d’excuse pour ne pas croire. Si, après tous les efforts qui vous sont consacrés, vous ne croyez pas, c’est que vous êtes incohérent et que vous le faites exprès.
L’apologétique n’est donc pas une discipline ouverte ou bienveillante. Elle ne recherche la contradiction que pour s’en nourrir, que pour la vaincre. Il est inimaginable, pour elle, qu’on puisse démontrer rigoureusement la fausseté d’un article de foi : ce ne serait que la marque d’une erreur de raisonnement. La vérité à prouver est définie à l’avance, et son immuabilité aussi.
Aujourd’hui, en 2012, il est manifeste que l’apologétique catholique est morte au terme d’un interminable naufrage. C’est le Costa Concordia du catholicisme, un gros machin inutile et cher dont l’échouage témoigne d’une masse d’erreurs et de présomption, qui déverse encore ses fluides toxiques dans la nature et qu’on feint de ne pas voir par embarras. C’est un truc dont on a un peu honte mais pas autant que l’Inquisition car elle n’a tué personne. Il fut un temps où les catholiques semblaient désireux de réfuter la théorie de l’évolution, car elle était perçue comme une menace. C’est aujourd’hui l’apanage des fondamentalistes protestants, de quelques musulmans rétrogrades, mais plus des catholiques. La théorie de l’évolution les laisse dans l’ensemble indifférents.
Dieu ne force pas la main
Retenons pourtant que si l’on a ressenti le besoin de réfuter quelque chose, c’est qu’une mentalité d’assiégé était prépondérante voire majoritaire chez les catholiques à une certaine époque et qu’elle persiste aujourd’hui dans certains cercles que je ne vais pas nommer tout de suite sinon Polydamas va saturer et m’arracher les yeux.
De la même manière, l’accent n’est mis sur le linceul du Turin que parce qu’il représente une preuve jugée irréfutable de la Résurrection, l’événement le plus évasif et ambivalent de l’histoire de la planète : des milliards de croyants vivants, et aucune preuve, aucun témoin même. Le linceul est un objet qui polarise les esprits : on ne lui donne pas le même nom selon qu’on croit qu’il est ou pas le linceul dans lequel Jésus fut enseveli. Si l’on parle de Saint Suaire, vous avez affaire à un croyant. Si l’on parle du linceul de Lirey, c’est l’opposé.
Pour ma part, je ne crois guère à l’authenticité du linceul de Turin. Les efforts d’allure scientifiques déployés par certains catholiques me semblent plus viser à impressionner qu’à convaincre, quand il ne sont pas tout simplement inconsistants. Néanmoins le linceul est une chose qui garde un certain mystère tenace autour de soi, et une aura rocambolesque : pistage au fil des siècles, controverses, ostensions rares, incendies… il y a une ambiance de Da Vinci Code. Mais une ambiance d’Evangile selon St Jean, c’est moins sûr.
La raison essentielle pour laquelle je ne crois pas à l’authenticité est une raison de convenance. La tradition mystique l’atteste, et la plus mince expérience de vie spirituelle catholique le confirme : Dieu a tendance à se cacher, à s’effacer. Tout se passe comme s’il n’existait pas. Il n’a laissé aucune preuve patente, irréfutable, de son existence – c’est pour cela d’ailleurs que la religion est une affaire de foi (et, j’ose le dire, d’expérience spirituelle) avant d’être matière de raisonnement et de déduction. Qu’au 15ème siècle apparaisse brutalement une relique qui force l’esprit à reconnaître la divinité et la vérité du christianisme, ce n’est tout simplement pas convenable. Ce n’est pas dans la manière de faire de Dieu. Ca ne Lui ressemble pas.
Le catholicisme tactique
La façon dont sont traités, valorisés ou repoussés des concepts comme le linceul de Turin ou la théorie de l’évolution en dit long sur le rapport que nous entretenons avec le christianisme, les enjeux que nous lui prêtons. Penser que le christianisme est assiégé, qu’il faut le défendre et que des efforts humains y suffisent, c’est jouer dans la même cour que les Témoins de Jéowah : il n’y a pas de quoi en être fier. C’est tenir le christianisme pour une sorte d’association des supporters de Jésus, où il est question d’avoir raison, de mettre la pâtée aux autres supporters (de Moïse, de Dawkins, de Marx, de Hayek, d'Al-Ahly), d’enrôler, de recruter, de tenir des positions défensives, de prendre le pouvoir, de mettre en place des structures, de faire de la stratégie, de donner (et Dieu sait que cette locution horrible a tenu une place importante dans la vie spirituelle old school) des « mots d’ordre ». Il y a dans tout cela un parfum de militarisme intellectuel, de conquête, de croisade.
Le christianisme authentique ne me semble pas résider dans ces tactiques fiévreuses. Il est avant tout dans la relation personnelle de l’homme-créature à Dieu son créateur devenu personne, et dans la justesse (la justice, même !) de cette relation : que l’homme se tienne à sa place et reconnaisse la Sienne à Dieu. C’est un enjeu de gloire : clara notitia cum laude. La gloire de Dieu, c’est quand créatures et créateurs sont à leur place. Nous le savons, Dieu peut paraître faible ou absent ; et les instruments de la relation entre Dieu et les hommes, ce sont les hommes. Il y a toujours, à des degrés divers, un besoin de promotion ou de protection de la religion. Mais l’essentiel n’est pas là, pas dans l’apologétique : il est dans la mystique, au moins majoritairement. Et la leçon constante de la mystique, ou de ce qui en a surnagé quand les mystiques ont parlé, c’est qu’on approche Dieu dans le noir. A quoi peut donc bien servir, dans le noir, une opinion sur la théorie de l’évolution, ou des arguments basés sur la mesure de crânes d’australopithèques, ou même une relique ?
On peut donc choisir de continuer à défendre ce catholicisme particulier, dégradé et bourgeois, que nous avons hérité du 19ème siècle, ce catholicisme où Dieu n’est pas loin d’être la caution morale d’un système bien nettoyé où tout semble cohérent et immuable. On peut le défendre comme on gère un pays, le catholicisme ; on peut utiliser l’arme intellectuelle… mais c’est d’une stérilité nonpareille, sans même parler de l’ennui qui se dégage des traités d’apologétique. Il n’est qu’un seul endroit où elle pourrait se révéler utile : c’est pour conforter les faibles, pour donner des béquilles là où on ne peut pas marcher seul. Pour éviter de tomber.
Le terrorisme raisonneur
Penser que le linceul du Turin (ou les apparitions mariales, auxquelles je ne crois guère non plus, ou toutes les variétés de révélations privées très goûteuses) puisse présenter un intérêt général, universel, c’est confondre le médicament et la santé. C’est penser que j’ai deux jambes puisque j’ai une béquille. Je tiens fermement mon aspirine, l’aspirine c’est la santé, donc l’aspirine est rendue obligatoire et proclamée suffisante pour le salut. L’approche est confortable, rassurante, les voies balisées, la surprise évacuée. Il n’y a plus lieu de s’inquiéter. Il ne suffit que de raisonner, d’amener le client sur le terrain où on sait qu’on le mettra en défaut à coup sûr, non pas par une utilisation loyale du raisonnement mais par un abus de logique et de ratiocination. L’adepte de l’apologétique aime le débat car il sait que quelques ficelles, toujours les mêmes, lui permettent de dominer son adversaire quel que soit le sujet.
Ce n’est d’ailleurs pas un trait spécifiquement catholique ni tradi : l’un des endroits où il s’est épanoui pendant des années était Usenet, en train d’agoniser aujourd’hui et dont l’ambiance particulière n’a pas été transportée dans aucun des forums qu’on trouve sur le web. Usenet avait ses trolls, ses caïds avec leur cour, ses oisifs qui intervenaient à n’importe quel sujet, sa piétaille et surtout son agressivité. La lecture de newsgroups politiques ou religieux à leur apogée, disons entre 1995 et 2005, est la meilleure formation possible sur les techniques d’intimidation discursive. Rien n’est assez rigoureusement démontré. Aucune source n’est assez citée ou précisée. Personne n’est à l’abri de paraître un nazi (le point Godwin est né là). Personne n’est à l’abri d’être relié à un utilisateur infréquentable. Personne n’est assez documenté (ô les arguments qui commencent par « relisez donc… » suivi d’un titre obscur).
Bref.
A nous de montrer que le catholicisme peut être autre chose qu’une cour de récréation pour adultes.
Même si je ne conteste pas toutes les versions guerrières, agressives et vindicatives de l'apologétique, d'ailleurs pour y avoir versé moi-même, même si je reconnais le danger de bellicisme qu'entraîne ce type de discussions,
je refuse malgré tout votre description réductrice de l'apologétique.
...Mais peut-être aussi parce que je partais d'une autre définition (qui n'est peut-être pas la définition rigoureuse, après tout) :
si je suis d'accord que "l’apologétique est la défense de la foi catholique par des moyens rationnels",
je ne le comprends pas forcément dans le sens de "la preuve rationnelle que Dieu existe, que Jésus est son Fils et que l’Eglise est l’institution voulue par Lui grâce à laquelle Il se communique", ni forcément "d’établir indiscutablement que tout homme muni de son bon sens ne peut qu’adhérer aux vérités révélées du catholicisme". Et certainement pas "qu’un incroyant est un fou" ni "qu'il n’y a pas d’excuse pour ne pas croire" ;
je le comprenais plutôt comme une sorte de pédagogie, le fait d'expliquer, sans relâche puisque les objections sont sans cesse les mêmes, non pas forcément que toute la foi catholique est scientifiquement prouvée, mais plutôt qu'elle n'est pas forcément une accumulation de croyances aberrantes, qu'elle est tout de même cohérente,
que, non, les avancées scientifiques modernes ne relèguent pas la foi au rang de tentatives dépassées d'explication de l'univers.
Une explication de la foi à ceux qui ne connaissent finalement pas grand-chose ni de la foi ni des croyants, en somme. Une sorte de vulgarisation de la théologie, de la métaphysique, de la foi - une façon d'ailleurs de montrer qu'on peut faire de la métaphysique comme M.Jourdain de la prose.
Chesterton (souvent plus poétique que rationnel, ou disons d'une rationnalité très poétique), C.S.Lewis, le cardinal Newmann me viendraient à l'esprit. (l'art de l'apologétique est peut-être anglais - parce qu'ils ont inventé le tea time ?)
De nos jours, puisque vous citez l'évolution, l'apologétique c'est d'ailleurs souvent expliquer que, non, on ne voit pas bien en quoi l'évolution démontrerait l'inexistence de Dieu - explications aussi bien, d'ailleurs, à destination des croyants qui se méfient des sciences que des athées iréfléchis qui confondent un peu tout.
Cela donne sans doute un peu le même sentiment que professeur de français dans un collège "difficile" (ou même pas, d'ailleurs),
mais c'est plus l'image que j'aurais de l'apologétique que le seul tableau noir que vous en dressez.
Et cette apologétique là n'est certainement pas morte.
Heureusement, d'ailleurs, sinon on se contenterait de se dire que "s'ils n'ont pas la foi, c'est qu'ils n'ont pas la foi", sans se soucier d'écarter les obstacles psychologiques ou intellectuels à la rencontre avec Dieu (le reste, ensuite, bien sûr, ne nous appartient pas).
Rédigé par : armel h | 22/10/2013 à 17:50
...il ne vous aura pas échappé que, si le Suaire de Turin est le véritable suaire du Christ, que certains indices l'indiquent, mais que pour autant il est impossible de l'établir de façon parfaitement irréfutable,
...alors tout va bien et Dieu continue à Se cacher, à s'effacer (qui plus est derrière un voile, symbole inside et toute cette sorte de chose).
Après tout, Il nous en a bien déjà laissé comme ça des signes évidents sous notre nez qui en même temps ne sont pas forcément totalement si évidents ; selon l'angle sous lequel on les regarde. Comme, bon, par exemple, l'Univers. La nature. Tout ça.
(et puis après tout, les amateurs d'enquêtes policières sont tout autant des enfants de Dieu, et Il a bien le droit de leur laisser des signes à eux aussi.)
Rédigé par : armel h | 22/10/2013 à 22:34