(ci-dessus : Boreray, Stac Li, Stac An Arnim. Source : Wikipedia)
Saint Kilda est un archipel écossais situé au large des Hébrides, à 70 kilomètres à l’ouest de la côte ouest de Harris (soit environ 3 heures de bateau). C’est la terre la plus à l’ouest du Royaume Uni depuis l’abandon de la souveraineté sur le rocher de Rockall. Saint Kilda reste bien plus connu que la plupart des archipels écossais de taille similaire en raison du mythe qui s’est développé à son sujet, celui d’une société primitive, unique, sur les marches de la civilisation occidentale. Le mythe lui-même s’est nourri de quatre causes principales : l’isolation géographique de l’archipel, une documentation relativement abondante, des voyages touristiques dès la fin du 19ème siècle, enfin, l’évacuation planifiée de tous les habitants, le 29 août 1929.
Depuis cette date, l’archipel n’est plus habité ou plutôt n’a plus de résident permanent. Quelques sous-traitants de l’armée britannique s’y relaient pour faire fonctionner une station radar qui y a été construite dans les années 50. Des chercheurs zoologistes, botanistes et archéologues s’y succèdent en été, de même que quelques « rangers » du National Trust of Scotland qui en est désormais propriétaire. La population animale est constituée de moutons sauvages d’une race endogène, de rats et de très nombreux oiseaux marins, pétrels, fulmars et macareux notamment. L’archipel continent l’une des colonies les plus nombreuses de ces oiseaux au Royaume Uni. Il s’enorgueillit aussi d’avoir les falaises les plus hautes du pays, de plus de 300 mètres.
St Kilda est constitué d’une île principale, Hirta, qui fut la seule habitée, d’un bras qui la prolonge au sud nommé Dun, probablement séparée de Hirta à une date indécise, du fait de l’action des vagues. Une île au Nord-ouest, Soay, servait de réserve à moutons. Plus au large, Boreray et deux rochers spectaculaires, Stac Li et Stac An Arnim hébergent des colonies d’oiseaux ; ils étaient l’un des principaux terrains de chasse des St Kildans avec les falaises de Hirta.
Le relief de l’archipel est important : Hirta culmine à 430 mètres environ, ce qui procure de forts dénivelés pour une île de 670 hectares. Les abords de Dun, Soay et Boreray sont très difficiles, constitués essentiellement de falaises. Les principaux « stacs » sont de même des rochers verticaux plantés dans la mer : les St Kildans qui y chassaient s’y rendaient en canot, s’abritaient dans un renfoncement creusé par les vagues dans la roche, où l’on ne pouvait pas mouiller, et un ou deux îliens restaient dans le canot et ramaient contre la mer pour que le canot ne soit pas projeté contre la paroi, le temps que la chasse se déroule.
Seule Hirta comporte une petite baie à peine abritée (« Village Bay ») et une grève de taille raisonnable où l’on peut accoster lorsque la mer est calme, ce qu’elle n’est que rarement. Les tempêtes d’automne et d’hiver sont violentes, avec des vents dépassant les 150 km/h. L’une d’elle vers 1860 a arraché en une nuit les toitures de toutes les maisons. Pour faciliter le débarquement des personnes et des biens, une jetée a été construite à la fin du 19ème siècle, ruinée au moins une fois par les vagues et consolidée depuis. Les chercheurs et les touristes peuvent y débarquer en dinghy. Les sous-traitants militaires de « la base » sont quant à eux transportés en hélicoptère depuis Kyle of Lochalsh. L’atterrissage à Hirta a été qualifié par certains pilotes de « death trap ».
Le relief de Hirta est pour une part en amphithéâtre autour de Village Bay, s’étendant jusqu’à une ligne sommitale qui se maintient entre 300 et 450 mètres et passant, de gauche à droite, par Ruaival (sommet, un radar), Mullach Mor (station de radars), Conachair (point culminant, 450 mètres), « the Gap » (un col donnant directement sur des falaises) et Oiseval. De l’autre côté de cette ligne, on trouve soit des falaises vertigineuses avec des colonies d’oiseaux, soit des pentes herbues ou tourbeuses sans sentier, souvent abruptes. La seule vallée d’importance de l’autre côté de la ligne sommitale s’appelle Gleann Mor et présente un intérêt archéologique notable.
Les seules habitations durables, et cela depuis plusieurs siècles, semblent avoir été regroupées dans le bas de l’amphithéâtre autour de Village Bay. Il n’y a donc qu’un seul village sur Hirta, qui n’a jamais eu de nom et qu’on appelle « the Village » par convenance, de même que la seule rue du Village qui mérite ce nom a été nommé, un peu moqueusement, « Main Street ».
Le territoire habité et cultivé autour du Village suit une organisation en « crofts » typique de la ruralité hébridéenne : la terre est divisée en lopins parallèles très étroits qui partent de la grève et montent loin sur les gradins de l’amphithéâtre. La ou les maisons de l’occupant du « croft » se trouvent à mi-chemin. Les cultures sont disposées entre la maison et la mer, le varech fournissant des engrais. Le haut du « croft » est plutôt consacré à l’élevage. Le schéma a été reproduit tel quel sur Hirta et l’on voit un mur principal (« head dyke ») au-dessus des crofts destiné à empêcher le bétail de pénétrer dans les cultures. Quelques enclos de pierre, probablement inchangés depuis des siècles, pourraient avoir servi d’enclos à moutons, notamment au lieu-dit Tobar Childa, où l’on croit que s’élevait le village original de l’île, avant que celui-ci « descende » (mais sous quelle influence ?)
Comme dans le reste des Hébrides – et surtout à Lewis – les maisons traditionnelles sont des « blackhouses » aux murs de pierre, à toit de chaume asservi par un filet en cordage. Partagées par les hommes et les bêtes, les blackhouses sont basses, très peu éclairées, chauffées à la tourbe et présentent les conditions d’hygiène déplorables qu’on imagine. A la suite d’une tempête plus violente évoquée plus haut, des maisons conformes au confort de l’époque furent construites au Village. Dans les Hébrides, le relogement des « crofters » dans ces nouvelles maisons, ou « whitehouses » avait lieu au même moment ; elles sont courantes dans le paysage, des cottages en granite avec une cheminée aux deux bouts. Ce sont ces maisons, construites vers 1860, que l’on voit en premier dans les photos du Village : il y en a quinze ou seize, alignées le long de Main Street, la plupart ruinées, les cinq ou six à droite à nouveau couvertes et habitables depuis quelques années. Les amas de pierres que l’on voit *entre* les maisons sont les ruines des anciennes blackhouses, converties en entrepôts ou en bergeries.
Tout l’archipel, non seulement Hirta mais les autres îles, est revêtu d’édicules couverts de moins d’un mètre de hauteur, les cleitan (singulier : cleit), servant à entreposer ou à sécher des denrées ou des objets, et en particulier les oiseaux ramenés de la chasse. Il y en a littéralement des centaines, partout, si bien qu’on a choisi pour les touristes celui qui était le plus près d’une falaise et qu’on l’a nommé « the cleit at the end of the world ».
Le Village a quelques édifices remontant à la fin du 19ème siècle, une église, un presbytère, une salle de classe, la « maison du facteur » sur laquelle je reviendrai et un entrepôt. Une base militaire a été construite dans les années 50 près de la grève. Une route goudronnée a été taillée à la même époque pour relier la base, la jetée et les deux stations de radar sur Mullach Sgar et Mullach Mor.
On remarquera donc l’absence de toute église ancienne sur Hirta. Il y en avait pourtant, et plusieurs. On se souvient même du nom et de l’emplacement de l’une d’entre elles, dédiée à Saint Colomban mais dont il ne reste plus de trace. On pense que les besoins en pierres et la difficulté à s’en procurer ont conduit à un recyclage systématique de tout édifice tombé en ruines et que les églises désaffectées ont connu ce sort. Il est possible aussi qu’un « broch » comme celui de Carloway se soit élevé au Moyen Age sur Hirta puis ait été démantelé au bénéfice d’autres constructions. L’absence d’un tel type d’édifice, courant dans les Hébrides, et la présence d’un entrepôt souterrain remontant à l’âge de fer et confondu parfois avec un grand cleit, en seraient des indices quoique pas totalement probants.
D’autres éléments du paysage laissent croire aussi à ce recyclage des pierres : il s’agit de trois digues interrompues (« consumption dykes ») quasi parallèles, s’étendant entre la Rue et la mer et où les archéologues voient des réserves de pierres attendant de servir.
On trouve des traces d’habitations, beaucoup plus anciennes, dans la vallée de Gleann Mor de l’autre coté des montagnes. Elles sont vues aujourd’hui comme des ruines pictes, c’est-à-dire datant d’avant le 10ème siècle et donc d’avant les Vikings. Je ne crois pas que l’on en sache beaucoup plus à leur sujet.
En plus des cleitan qui criblent le paysage, du Village, des « digues », il faut mentionner quelques édifices spéciaux. Le cimetière, en premier lieu, est un enclos ovale de pierres sèches, surélevé par les ajouts de terre au fur et à mesure des enterrements. Le « complexe » de Tobar Childa, au-dessus du Village, est un ensemble de structures et de cleitan dans lesquelles on lit un ancien village, des enclos à bétail, une source et peut être d’autres choses encore. Je crois qu’on ne sait pas vraiment ce que c’était. Il y a enfin une « maison de Lady Grange », en réalité un gros cleit où aurait été détenue une otage au 18ème siècle.
à suivre quand j'aurai le temps